Montrer ou pas les images des pogroms
Le 7 octobre 2023, les pogroms perpétrés par la Hamas ont été filmés par eux. C’est une nouveauté par rapport aux faits se rapprochant de ces massacres.
Depuis plusieurs jours, les autorités israéliennes ont décidé de montrer ces vidéos prises en GoPro aux journalistes qui ont pu voir les terroristes se repaître des corps suppliciés.
La question se pose pourtant, avant ces projections à la presse et depuis, de montrer aux citoyens ces images dont les témoignages confirment le côté insoutenable. La comparaison est alors régulièrement faite sur les images des camps montrées lors du procès de Nuremberg.
Peut-on pour autant comparer ces films ?
Le 21 novembre 1945, le procès de Nuremberg commence avec dans le box des accusés les dignitaires nazis qui n’avaient pas été tués ou qui ne s’étaient pas (encore) suicidés.
Et un montage, intitulé Nazi concentration camps concocté à partir d’images réalisées sous l’autorité du réalisateur John Ford et montées par Stuart et son frère Budd Schulberg aurait été présenté dès le début du procès aux juges, au jury et aux accusés. Ceci est vrai mais à nuancer.
Si le montage a été projeté au début de ce procès, ce ne fut pas un choix initial mais c’est bien parce que son préambule, le procureur général Jackson, voyant l’impatience des journalistes devant la longueur de la lecture des chefs d’accusation sur tous les fronts – trois mois du fait de la nécessité de procéder aux traductions en multiples langues - impliquant la barbarie nazie décida alors de projeter les images des camps plus tôt que prévu pour rappeler immédiatement la réalité de l’atrocité des crimes nazis.
L’autre différence relève du public assistant au procès. Il ne s’agissait pas du grand public mais du public qualifié susmentionné ainsi que des journalistes qui ont relaté les images dans leurs journaux. Ces images ne réapparaîtront pour le grand public qu’à partir de documentaires postérieurs comme Nuit et Brouillard d’Alain Resnais en 1956 ou dans des films de fiction comme Jugement à Nuremberg de Stanley Kramer en 1961.
Ces images différaient encore de celle des hordes du Hamas par le fait que, hormis les films représentant les dignitaires nazis instigateurs ou organisateurs du génocide, ce sont bien les libérateurs des camps qui les ont prises.
Il n’y a pas d’image de SS introduisant le Zyklon B dans les chambres à gaz. Pas de films super 8 de juifs entrant dans ces mêmes chambres. Pas d’enterrement des cadavres dans des fosses communes ou d’incinération dans les fameux fours crématoires. Ces images ont manifestement existé mais elles ont été d’abord cachées puis détruites par les nazis quand les troupes alliées menaçaient. Les images que nous pouvons voir des camps montrent les victimes, les corps déjà enterrés et déblayés à coups de pelleteuses, les fours etc.
Les Nazis n’ont pas fait la promotion dans des films projetés en salle de cinéma de leurs crimes ignobles. Ainsi, les images projetées à Nuremberg n’étaient pas des images de la propagande nazie et les journalistes ont pu témoigner du regard stupéfait et horrifié des personnes présentes dans le tribunal, y compris parfois de certains des nazis accusés. Rien de cela pour les islamistes qui eux ont appelés leurs parents pour manifester leur joie d’avoir commis cette barbarie.
La comparaison n’est donc pas possible avec les images de Nuremberg du fait de l’origine des images, de leur vocation initiale et de leur utilisation postérieure qui avait une approche pédagogique et contextualisante.
Montrer les images du pogrom du 7 octobre sans cette mise en perspective ne serait donc pas la même chose que pour Nuremberg. Mais faudrait il pour autant ne jamais les montrer ?
Certains ont rappelé que Shoah, le film de Claude Lanzmann en 1985, évoquait le génocide juif par les nazis sans jamais montrer d’image des camps, et que cela était tout aussi efficace que de montrer les images des corps décharnés, des cadavres à la maigreur inhumaine ou des salles remplies des cheveux, des dents en or ou des effets personnels des déportés. Leur réflexion est juste mais omet un élément essentiel.
En 1985, les spectateurs de Shoah avaient en tête justement les images de Nuit et Brouillard qui constituaient une sorte de mémoire émotionnelle. Pour chaque témoin que Claude Lanzmann interrogeait pouvait correspondre une des images projetée dans le film de Resnais, elles-mêmes reprenant celles projetées à Nuremberg.
Encore une fois, la comparaison avec le procédé de Lanzmann est inopérant car ce réalisateur s’est appuyé sur une mémoire commune. Le problème que posait alors l’absence d’image produite par les Nazis est qu’il a fallu, pour la mémoire, créer des images manquantes à partir des témoignages. Voire de reconstruire des sites d’extermination en insistant sur le côté horrible, quitte parfois à en rajouter dans la reconstitution. Or ces sites ou les images forcément de fiction ont pu être des sujets de contestation de la part des négationnistes justement parce que cela étaient des reconstitutions.
Le problème que posent les images du Hamas est au contraire leur objectif de propagande.
Montrer ces images ne relèverait il pas de la volonté des islamistes de promouvoir leur combat auprès d’un public prêt à poursuivre le combat ailleurs, c’est-à-dire partout où se trouvent des islamistes.
Les vrais points communs qu’il y a entre les images sur les camps nazis et celles des massacres du 7 octobre sont donc leur violence psychique pour les spectateurs, des plus jeunes aux plus âgés.
Mais c’est aussi dans les deux cas l’importance de les encadrer par un discours filtrant, préparant, contextualisant dans leur diffusion ou projection.
Le point commun à venir devrait être également l’utilisation des images pour la justice. L’équipe cinématographique mobilisée par le procureur général du procès de Nuremberg avait pour mission de produire un montage pour prouver les crimes des Nazis, y compris s’ils en avaient la possibilité, avec des images tournées par les bourreaux.
Les dignitaires survivants du Hamas devront être aussi confrontés aux images qu’ils ont produites pour les juger pour crime contre l’Humanité, crime créé justement à l’occasion du procès de Nuremberg et qui a permis d’établir ensuite le discours contre cette idéologie.
Les pogroms du mouvement islamiste ne méritent pas moins.